Bertrand Schwartz a révolutionné la pédagogie à l'Ecole des Mines de Nancy lorsqu'il y était professeur, puis directeur. La "réforme Schwartz" a dépassé les frontières de l'Ecole et a eu un retentissement au plan national et international.


Bertrand SCHWARTZ : Directeur de l'Ecole des Mines de Nancy de 1957 à 1966



Directeur de l'Ecole des Mines de Nancy de 1957 à 1966, Bertrand Schwartz a mis en place la réforme des enseignements qui porte son nom, en se basant sur l'analyse des compétences que les industriels souhaitaient trouver chez un ingénieur diplômé d'une grande école.

D'abord nommé Professeur du cours d'exploitation des mines à l'Ecole des Mines de Nancy en 1948, Bertrand Schwartz en devient le Directeur technique de 1955 à 1957, puis Directeur à l'âge de 38 ans. C'est sous sa direction que l'Ecole innove en développant le concept d'ingénieur généraliste grâce à un mode d'enseignement précurseur des évolutions futures, accompagné par la création des laboratoires de physique et du laboratoire de métallurgie. Cette réforme, fondée sur 4 grands principes, a permis d'intégrer des enseignements nouveaux au sein du programme pédagogique comme les statistiques puis l'informatique et également des cours de méthodologie, d'expression orale et corporelle et ainsi approfondir certains domaines en développant l'autonomie des élèves, leur créativité et leur goût du concret et de l'action.

Professeur à l'Université Paris Dauphine de 1969 à 1973, il fut, au début des années 80, à l'origine des Missions locales d'insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté, et fut délégué interministériel à l'insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté de 1983 à 1985. En 1985, il est nommé membre du Conseil économique et social. Enfin, il est l'organisateur de la Mission Nouvelles Qualifications et a créé et présidé l'association Moderniser Sans Exclure.

Bertrand Schwartz a reçu en 2013 la Grand-croix de la Légion d'honneur. En 2008, Simone Veil lui remet le Prix de l'Ethique. Il est également le premier titulaire du prix international d'éducation Grawemeyer en 1989.



En complément de cette biographie, voici quelques archives vidéos sur Bertrand Schwartz :

Pour visionner l'interview de Bertrand Schwartz, collection Les grands entretiens/ Université de Genève, 2003 : interview Bertrand Schwartz


 Archives Bertrand Schwartz : Document multimédia produit par l'Université de Genève, regroupant autour des étapes de sa vie des écrits, des conférences, entretiens, des photos, articles de presse, etc. :

Bertrand Schwartz - Introduction

Bertrand Schwartz - Entretien

Bertrand Schwartz - Images de vie



La réforme Schwartz :

En quoi consistait cette fameuse réforme pédagogique, mise en place dès 1957 ? 

Voici le témoignage d'Alain Ruaux (N60), un de nos alumni qui a eu la chance de vivre cette réforme en tant qu'élève à l'Ecole des Mines de Nancy avec Bertrand Schwartz comme directeur de l'Ecole.



Bertrand Schwartz (à gauche) en 1962, avec Claude Chambon (à droite) qui deviendra à son tour directeur de l'Ecole des Mines de Nancy.


1) Les programmes

Tout en donnant des bases scientifiques et techniques solides, la réforme intègre aux programmes les composantes humaines et humanistes du métier d'ingénieur. De nombreuses matières qui ne sont pas abordées dans le cursus des écoles d'ingénieurs font parties intégrantes du programme : ainsi, les cours d'expression écrite et orale, les technique d'exposés et rapports, la gestion des moyens humains, des conflits sociaux, la dynamique et la sociologie des groupes, une approche critique de l'organisation scientifique du travail (pauvre Taylor!), les secondes langues (pour moi l'allemand) sur la base d'une pédagogie participative illustrée par des conversations autour d'articles de presse... Cette ouverture des programmes à tout et pour tous, s'accompagne d'une grande liberté pour choisir des options hors école : calcul scientifique sur machines à la Fac de Sciences (ah ! les racks de cartes perforées!), sciences économiques et politiques, théâtre, musique au Conservatoire,... Les programmes sont donc profondément réformés.


2) L'emploi du temps

La réforme touche aussi l'emploi du temps. Pendant les périodes d'instruction à l'école, les cours n'occupent que la moitié du temps, soit le matin, soit l'après-midi. Chacun dispose de l'autre moitié du temps pour organiser la préparation des cours ou ses autres activités. En particulier, chacun dispose de cours polycopiés ou de livres qu'il lui appartient de potasser seul ou en équipe, préalablement aux cours. Cette organisation relègue aux oubliettes les poussiéreux amphis ex-cathedra. De plus, la promotion d'environ 60 mineurs, après le choix en fin de 1ère année entre mines et métallurgie, est organisée en sous-groupes d'une douzaine de mineurs, groupes animés par l' intervenant et ses aides, ingénieurs ou non, salariés d'entreprises, vacataires, volontaires, avec l'aval et le soutien de leurs employeurs. Exemples : pour la "mécaflu" un ingénieur des Pompes Guinard, ou pour les aciers spéciaux un aciériste de Firminy,... Dans ces sessions, les exercices sont conçus et dirigés par ces intervenants et accompagnés de rappels des bases théoriques et d'explications selon les besoins du groupe. Les nouveaux bâtiments de l'école au parc de Saurupt disposent pour cela de nombreuses petites salles ad hoc. La pensée du directeur est donc dans le concept même du bâtiment ! Imagine-t-on aussi le travail d'organisation et de recrutement de tous ces intervenants ? Inouï !

L'emploi du temps est aussi bouleversé au niveau de l'année : deux coupures importantes par année. D'abord en février/mars et une en été, sous forme de "stages" obligatoires en entreprise comme salarié, travaillant effectivement et rémunéré au salaire de l'emploi. En première année, un stage "ouvrier" soit dans les mines soit dans la métallurgie. Il faut trouver soi-même un employeur et chercher son hébergement autant que possible en milieu ouvrier, dans les corons ou les cités. (Pour moi, les 3x8 aux Aciéries de Pompey). Au terme de ces deux mois, rapport de stage et mise en commun à Marly-le-Roi de nos expériences sociologiques (pour moi, une grève vécue avec défilé à Pompey!). En deuxième année, rebelote : deux mois comme technicien ou agent de maîtrise (pour moi, agent d'ordonnancement chez un fabricant d'isolants électriques). Enfin, en troisième année, deux mois d'ingénieur (pour moi, étude pour la conduite automatisée d'un laminoir à la Société européenne d'automatismes à Paris). A ces immersions en pleine année, s'ajoutent les stages d'été (pour moi, "I dig coal" aux HBL (houillères du bassin de Lorraine) de Merlebach ou la coulée de la fonte aux hauts-fourneaux De Wendel à Hayange) + les périodes militaires obligatoires. On ne s'ennuie jamais !

Ces incursions dans le monde du travail étaient dûment concrétisées par de nombreuses sorties avec visites de centres industriels ou miniers : mines de fer de Lorraine, voyage de 15 jours de découverte des mines du Maroc, complexe carbo-chimique de Carling, centre de recherche des macromolécules de Strasbourg (je vois le modèle de la double hélice de l'ADN, tout juste présentée), eine Reise mit Urlaub an der Universität Wien, um Deutsch zu lernen... Heureux temps du plein emploi, des échanges préludes à Erasmus, de la construction de l'Europe, de la reconstruction et du plein essor de notre économie !


3) L'esprit d'équipe

Ainsi, on voit que la réforme touche les rythmes d'études. La réforme s'attaque aussi au système des notes et par là-même au classement : pas de notation, pas de classement ! Après les concours, quel changement ! C'est l'équipe nationale de foot avant Jacquet et Deschamps ! Ce principe est même étendu par les mineurs au fonctionnement de l'IMO (Instruction Militaire Obligatoire) où les futurs appelés aux EOR décident de confier au tirage au sort les affectations (pour moi l'Armée de l'Air). Ceci m'a valu après la période commune au camp de Bitche, de devenir télémécanicien au bout d'un mois de formation à l'Ecole des Sous-officiers de l'Armée de l'Air de Rochefort sur Mer.


4) La formation continue

Enfin, dernier volet de la réforme : la formation permanente et la Promotion supérieure du Travail.
Nous avons la possibilité de contribuer à l'enseignement dispensé par le CUCES au sein de notre école, pour la formation continue en cours du soir des adultes du bassin nancéien. Nous avons également dans la promo deux condisciples de plus de 40 ans, issus des rangs de deux entreprise locales, venus se perfectionner et se rajeunir à notre contact. Ils nous apportent avec 4 élèves étrangers (Liban, Guinée, Grèce, Maroc ) une ouverture complémentaire au monde et aux entreprises. Ce dernier point fort de la réforme a été déterminant pour moi, dans les actions de formation entreprises ultérieurement pour mon développement personnel et celui de mes collaborateurs.


En conclusion, 

La réforme est un bouleversement complet des programmes, des rythmes, de la pédagogie, des relations au sein des mineurs et de son corps enseignant. C'est une approche nouvelle, globale et cohérente de la formation. C'est une conception de l'enseignement supérieur, en symbiose avec le monde de l'entreprise dans le respect des choix individuels des "élèves". Chacun est encouragé à prendre en mains son avenir pour être et demeurer avant tout

autonome et responsable.


Tout ceci est arrivé bien avant mai 68 et les revendications étudiantes tous azimuts.

Bravo encore une fois à Bertrand Schwartz , à sa vista et à son enthousiasme communicatif !

Alain Ruaux (N60)